Mes oeuvres ont été rarement vues, et souvent mal comprises, sans doute parce que la mentalité latine s'arroge le droit de séparer l'objet des forces mentales et des processus de pensée qui l'ont conduite à se manifester. Or mon oeuvre ne se réduit pas à des images préexistantes, qu'elles soient philosophiques, politiques, poétiques ou artistiques, mais est un véhicule qui traverse et donne forme à des matériaux et à des pensées dont la mission est de pouvoir communiquer avec d'autres préoccupations de la société contemporaine pour rendre consciente et sensibiliser l'évolution de l'Homme.
Je n'ai à opposer qu'une provocation rigoureuse et passionnée de tous les champs d'énergie qui peuvent, entre la vie et la mort, transformer le sentiment tragique en oeuvre d'espoir.
L'engagement n'est pas de faire oeuvre esthétique mais de jalonner la réalité par ses oeuvres, par l'art, et de tenter de la changer.
Mes "Tableaux" retracent le processus de la vie contemporaine. Ce processus ne fait qu'évaluer les possibilités de changement mais il en provoque aussi l'accomplissement.
Très tôt, je me suis mis à la recherche d'une problématique de l'art qui soit capable d'interpréter l'activité humaine au sein d'une vision globale du travail. Le travail est un problème majeur de nos sociétés.
Déjà, dans les idées de la Révolution française, sous les trois formes de liberté, égalité, fraternité, la pensée d'une transformation sociale est présente, mais cette pensée n'a jamais été réalisée concrètement dans les sociétés.
Cette position est pour moi un axe important dans la recherche d'une méthode visant l'élargissement de l'idée de l'art. Au-delà de la critique unilatérale, je cherche les outils d'une vraie transformation. Pour que désormais chaque retrouvaille avec l'oeuvre soit un rendez-vous sans concession, non plus avec un artiste, mais avec soi-même.
La pensée devient de plus en plus forte au fur et à mesure qu'elle se charge de matériaux physiques et mentaux, et qu'elle se déploie, irriguant successivement tous les champs de la vie.
Pour me consacrer à la peinture, je n'ai jamais abandonné l'architecture, le graphisme ou le théâtre. Je n'ai jamais pris de la distance vis-à-vis de la maîtrise productive.
Jadis je partais d'un morceau choisi. A présent, parfois, je rencontre une solution ; toujours régionale, circonscrite, et je l'adopte, je l'intègre organiquement à une nouvelle évaluation générale de la représentation.
Je me tiens et tente de me tenir en permanence dans la déception de l'identification. Cela prouve à mes yeux le caractère de recherche intransigeante qu'il faut pour assigner à la fonction de l'art, et la liberté et l'indépendance des moyens pour ce faire.
Plus que la performance technique, c'est la radicale ambiguïté qui fascine. Chaque "tableau" est un piège pour le regard parce qu'il fascine d'autant plus qu'il ne dit rien.
L'émotion sera toujours petite, marginale, inattendue, solitaire et sans exhibitionnisme.
Un travail qui rappelle que le concept de l'art contemporain peut demeurer anthropologique.
C'est dans l'ajout de sens que je me sens le plus pertinemment critique. Dans une vision généreuse et optimiste : la nature moderne est belle à condition de se mettre d'accord sur les sens et valeurs des mots nature et beauté. Une hygiène de la vision s'impose d'abord.
La nature du XXème et du XXIème siècle c'est le folklore que transmettent tous les langages visuels organisés (affiches, publicités, signalétique, etc.). Une culture, devenue culture des médias, demeure toutefois une culture hiératique.
Un lyrisme dont la chance est intacte : le regard que cette peinture nous fait jeter sur nos démons familiers. Elle rappelle que la réalité de tous les instants est une jungle, que nous devons toujours être prêts pour le voyage le plus inattendu.